"Engagez-vous, rengagez-vous qu'ils disaient !" Petit clin d'oeil à Astérix, et surtout à l'histoire pour démarrer cette réflexion.
A l’heure de ce que l’on nomme « la grande démission » concomitante de « la démission silencieuse », on commence à lire et entendre de nombreux commentateurs qui s’inquiètent des conséquences d’une forme de désengagement, d'une démotivation contagieuse qui coïnciderait souvent avec d’autres phénomènes de fragilisation de nos liens (augmentation des divorces, carences éducatives, manque de bénévoles, …).
Comment comprendre ces phénomènes dans le monde du travail ? Comment penser la question de l’engagement au travail ? Est-il légitime d’attendre de l’engagement de la part de l’ensemble des salariés ou des partenaires ?
Si les chercheurs et tous les théoriciens du management avaient identifié les moteurs de la motivation et de l’engagement, il suffirait simplement d’appliquer quelques méthodes, d’utiliser des outils éprouvés pour bien choisir nos salariés et les accompagner le plus longtemps possible dans leur carrière au sein de nos structures, en comptant sur leur mobilisation durable et leur participation active à tous les projets.
Mais la réalité frappe parfois plus fort que l’addition de conseils, souvent raisonnables mais sans doute pas assez pertinents… ou pas toujours appropriés aux cas singuliers rencontrés par vos entreprises.
Je l’ai constaté chez mes clients… Ils me disent toujours, lors de la première rencontre, que leur entreprise est « spécifique ». Et les salariés me déclarent la plupart du temps avoir un parcours « atypique »… Alors si personne (ou presque) ne se retrouve dans les cas supposés « normaux », comment envisager de donner des réponses un peu trop standardisées ? Sans céder au relativisme, tentons de clarifier quelques concepts.
Confusion entre engagement et motivation
Que l’on emploie indifféremment, au quotidien, les mots « engagement » ou « motivation » pour désigner l’implication de nos équipes dans les projets, dans leur collectif de travail, dans leurs pratiques, ce n’est pas nécessairement gênant…, l’important étant de s’entendre sur les attentes réciproques…, dans la mesure du possible. Mais prendre le temps, ponctuellement, de s’intéresser au sens des mots utilisés couramment pour mieux saisir les enjeux de nos attentes, ce n’est certainement pas anodin lorsqu’il s’agit justement de comprendre ce qui se passe de spécifique dans cet écart entre d’une part nos représentations des collectifs de travail et d’autre part les réponses apportées par ces derniers.
Intéressons-nous dans un premier temps à la motivation…
Commençons par la construction de ce mot « motiv-ation ». Si nous le découpons, nous retrouvons le préfixe motif, ce qui est loin d’être anodin… En effet, ne dit-on pas que l’on est motivé PAR quelque chose, ou POUR quelque chose ? Ce « quelque chose » ne désigne-t-il pas le motif…, ou donc finalement la raison d’agir d’une personne motivée ?
Ainsi, vos salariés sont et seront motivés tantôt par le projet sur lequel ils travaillent, tantôt par le contenu de leur travail, ou les produits de l’entreprise, son image de marque, les qualités de leurs relations avec leurs collègues, le montant de la rémunération qui permet de répondre à leurs aspirations…, ou même tout simplement par l’idée d’avoir un salaire à la fin du mois alors que la vie est ailleurs (tous nos salariés ne sont pas intéressés par leur travail et trouvent d’autres sources d’épanouissement…., pouvons-nous leur en vouloir ?).
Ôtez-leur ce qui les motive, ou modifiez ces sources de motivation…., et attendez-vous à quelques modifications qui donneront lieu la plupart du temps à des réclamations, revendications, les fameuses « résistances », des départs…
==> Le travail du manager, face à des questions de motivation, est de rester attentif justement à ce qui motive ses équipes pour évaluer la capacité de l’entreprise à répondre à ces demandes implicites. A une époque où l’individualisation prime dans la gestion des ressources humaines (gestion des « talents », comptes « personnels » de formation, accompagnements des carrières individuelles, suivis, entretiens, primes et bonus), on est incité à une démarche d’accompagnement quotidien des individus… Des individus qui changent, qui évoluent, et qui ont aussi besoin de motif(s)…. Cependant… le plus «drôle», c’est que tous ces motifs ne convergent pas…, ils sont variables et divergents. Ce qui va motiver un salarié peut aller à l’encontre de ce qui va en motiver un autre. (un tout petit exemple : l’aménagement en open space ou bureaux individuels ne provoque pas de réactions unanimes, chacun ayant ses préférences pour se concentrer, collaborer, et ce n’est là qu’un petit exemple). Alors, manager, c’est loin d’être simple, pas vrai ? (et ce n’est sûrement pas une affaire de recettes)…. C’est bien pour cela que nous encourageons la réflexion, avant tout, pour prendre conscience des aléas des situations, ou pour le dire autrement du caractère bien « situé » du management… La clairvoyance, c’est une qualité qui se développe, à l’aide de la culture, des sciences humaines, associés aux connaissances techniques du terrain… Manager à la fois des INDIVIDUS aléatoirement motivés et des collectifs demandent un doigté qui ne saurait s’affranchir d'une bose dose de recul… On peut faire naître de la motivation chez certains, puis travailler à la maintenir vivante malgré les variations…
Intéressons-nous maintenant à l’engagement …
L'engagement, lui, n’a pas besoin de motif, il ne s’entretient pas
Nous venons de l’évoquer, ce sont des INDIVIDUS qui sont motivés (ou non)… Des individus qu’on accompagne, avec leurs désirs divergents et évolutifs...
Et l’engagement dans tout cela ? Si l’on s’intéresse une nouvelle fois à la construction du mot « engagement », attardons-nous sur le radical « GAGE » ; que met-on en gage dans l’engagement ? Sa personne ? Ses compétences, ses connaissances ? Quel est le risque lorsque l’on met en gage quelque chose si ce n’est de la perdre… ? Ce terme désigne donc un attachement beaucoup plus fort que celui de la motivation
Nous rappelions plus haut que l’on est motivé « par » ou « pour » quelque chose. Dans l’engagement, c’est différent : on est engagé DANS… un projet, un combat, un travail, une mission, une relation…. Il y a une matérialité, une prise en compte du territoire, du corps… Quand on est engagé, on n’est pas simplement un individu, avec ses droits, ses contrats, son suivi, sa carrière. On est là une PERSONNE ; incarnée donc… L’engagement n’est pas que rationnel, il est donc relationnel. Il dépend de notre capacité à être « affecté » par notre environnement, ce qui renvoie aussi au rapport charnel. Il reconnaît une dette vis-à-vis de l’environnement, de la vie (l’idée de « donner en gage » évoque aussi la dette), dette que nous devons évidemment rembourser par nos actions. L’engagement exprime une relation, une situation, il assume l’imprévisibilité, c’est une présence dans le devenir… On s’engage « corps et âme » dit-on. "On s'engage à ..." dit-on aussi, expression qui invite un verbe... d'ACTION !Ainsi on est dans le concret. Être engagé dans son travail désigne donc l’idée de faire corps avec lui et de reconnaître l’existence de possibilités concrètes d’actions mais aussi de dépassement des problèmes rencontrés… Et remarquons aussi que l’on est davantage engagé dans son travail que dans les conditions de travail… Et il n’est donc pas anodin de s’intéresser encore plus au contenu de celui-ci si l’on a affaire à du personnel engagé !
Si l’on se réfère à l’histoire de la pensée, on retrouve chez Pascal, Spinoza, jusqu’à chez Sartre et bien sûr Benasayag cette idée que dès la naissance, nous sommes d’ores et déjà engagés dans la vie… Il y a quelque chose de dynamique dans l’engagement, une reconnaissance du caractère dynamique de la vie, de sa puissance, comme de notre puissance à nous de faire bifurquer des trajectoires.
==> Alors comment manager des personnes engagées ?
Ce que nous venons d’évoquer nous rend conscients qu’il s’agit d’abord de reconnaître que ce n’est pas le manager qui a entre ses mains le pouvoir de faire naître l’engagement puisque la personne engagée est d’ores et déjà engagée, elle a conscientisé cet état de fait, en faisant siens des combats pour rendre possibles des changements dans la vie concrète. Si le contenu et/ou la finalité du travail proposé dans l’entreprise participe à ses propres engagements, la personne sera ainsi engagée dans son travail, quel que soit le management, quelles que soient les conditions (même si, justement, le risque d’épuisement existe lorsque les conditions sont défavorables…). Pensons au personnel soignant, notamment auprès de personnes en grande dépendance, aux militaires, aux paysans… Quoi qu’il arrive, ils sont sur le front et n’attendent pas nécessairement les consignes… Ils ont développé leurs compétences, ils apprennent, ils agissent. Le rôle des managers, là, est sans doute d’être plutôt attentifs aux actions et à l’accompagnement à la réflexivité, pour que tous les retours d’expérience puissent permettre une capitalisation, une préservation de ces nouvelles connaissances en vue de les transmettre, les partager. Ils sont attentifs au contenu du travail, à la faisabilité des projets. La pénurie de personnel à laquelle font face actuellement les établissement médico-sociaux révèle aussi que l’engagement ne suffit pas… et qu’il s’épuise. Face à cela, le manager ne peut pas faire grand-chose hormis trouver des aides extérieures pour palier les besoins d’effectifs, intéresser à ses métiers, former, rémunérer plus justement…à la hauteur de ce qui est mis en gage...
On m’a fait remarquer récemment qu’on disait « engager quelqu’un » lorsque l’on parle d’embauche… Cette expression semble trompeuse, ce n’est pas le contrat qui engage la personne… Et cette personne nous le fait bien comprendre quand elle prend la décision unilatérale de « dégager » … La grande démission fragilise cette expression « engager du personnel » ; on embauche du personnel, d’ores et déjà engagé dans la vie, plus ou moins engagé dans les mêmes causes que son recruteur. Et si on les engage, si on les "met en gage", on est prêt... à les perdre.. C'est pour cela qu'on doit se souvenir que leur engagement ne nous appartient pas.
Et la fidélisation dans tout cela ?
Puisque la question du début de cet article porte aussi sur la grande démission et la recrudescence des départs de personnes qui ne se sentent pas « engagées » vis-à-vis de l’entreprise, intéressons-nous au mot fidélisation. Encore un peu de latin si vous permettez… Dans ce mot, on retrouve (comme dans le mot « confiance ») la racine « fides » qui signifiait « foi », « croyance ». La fidélité du personnel ne peut pas être envisagée sans cette référence à la croyance…
Une personne motivée aura besoin de croire que les motifs (à la source de sa motivation), seront durables… Si c’est le contenu de son travail qui la motive, elle aura besoin de croire que ce contenu ne perdra pas de sa richesse. Si ce sont d’autres éléments telles que les conditions de travail, le climat social, etc…, ce sera fragile car les mutations actuelles ont énormément d’influence sur les cultures d'entreprise, régulièrement négligées, ce qui fragilise aussi les croyances… Ainsi, les promesses des managers ne peuvent pas toujours palier les pertes pressenties dans les perturbations provoquées par les crises actuelles (sanitaire, géopolitique, énergétique, etc)…. Le dialogue est plus que jamais déterminant pour évaluer les motifs qui tiennent les personnes motivées, mobilisées…
Une personne engagée est moins perméable aux conséquences déstabilisantes des crises… puisqu’une personne engagée agit justement parce qu’elle est affectée par ce qui l’entoure. Elle sera fidèle à ses combats…La croyance, dans ce cas, portera sur la réalité des engagements de l’entreprise. Les discours n’ont pas d’emprise sur une personne engagée, c’est la vérité des actes qui compte. Elle aura surtout besoin de ne pas être empêchée… , de pouvoir travailler davantage en mode coopératif qu’en mode collaboratif, de pouvoir proposer et apprendre.
Pour conclure
En résumé, ce n’est pas anodin que toutes les théories actuelles du management n’aient pas trouvé l’antidote à la démotivation ou à ce que l’on nomme un peu vite le « désengagement »…. Ces situations sont singulières et dynamiques et nécessitent de les considérer aussi de manière dynamique, d’observer leur vitalité. C’est en travaillant sur le contenu du travail, la culture de votre entreprise, le vocabulaire de votre communication, vos pratiques managériales, en profondeur, qu’on fera évoluer la lucidité pour mieux comprendre les SITUATIONS. L’engagement est situé, il est incarné, et nécessite aussi une réflexion sur la place du corps dans votre entreprise, pas seulement en termes d’ergonomie et de santé… Vos salariés sont-ils motivés ? Engagés ? Ni l’un ni l’autre ? Quelles réponses apporter à la fragilité des liens mise en évidence par nos crises ? Comment penser ces liens ? L’intelligence n’est-elle pas cette capacité à relier… ? Et si l’on s’intéressait aussi à la question du professionnalisme propre à votre entreprise ?
Parlons-en… ! La clairvoyance et la lucidité ne devraient pas être un luxe…, elles exigent surtout des bonnes questions. Votre entreprise est unique, l’analyse sera donc singulière, les réponses aussi.
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