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nellymargotton

Philosophie et confiance en soi

Dernière mise à jour : 7 déc. 2022


Si les difficultés liées à la confiance en soi vous conduisent souvent chez un psychothérapeute ou chez un coach, il peut être pertinent d'envisager aussi une interrogation plus philosophique...

De même, si vous êtes manager ou professionnel RH, et que vous êtes face à un collaborateur qui semble manquer d'assurance..., vous vous demandez comment l'accompagner au mieux... : clarifier les mots permet parfois d'éviter les bévues !


Qu’il est difficile parfois de se lancer dans un projet, de faire face à l’adversité, de rebondir après des difficultés, de partager ses sentiments, sa colère, de se faire entendre et comprendre… En tout cas, il s’avère que pour certains, c’est encore plus difficile que pour d’autres, et que ces difficultés sont souvent attribuées à un déficit de confiance en soi …

Cependant, est-on sûr de pouvoir considérer la confiance comme un préalable à l’action, ce qui signifierait qu'il suffirait de la trouver pour agir ?

La confiance est-elle quelque chose qui se trouve quelque part en nous ou hors de nous ?


On parle aussi de « perte de confiance », ce qui suggère qu’on peut la perdre, puis la retrouver, comme un objet qu’on égare par inattention ou pour toute autre raison, mais qui réapparait avec un peu d’effort… Est-ce pertinent ?



Enfin, quand on l'évoque, c'est toujours dans une relation : on dit en effet "confiance EN soi", "EN les autres", "EN la vie"... Ainsi, la confiance ne désigne-t-elle pas plutôt une relation ? Ainsi, il semble important de ne pas la confondre avec l'estime de soi !


Confiance en soi ou estime de soi ?

En tout cas, estime de soi et confiance en soi ont au moins un point commun, celui de contenir le mot « soi » dans leur appellation. Ce qui rappelle une invitation philosophique bien connue : le fameux « connais-toi toi-même » inscrit sur le temple de Delphes, érigeant la connaissance de soi comme un préalable à la sagesse, mais aussi à la vie bonne… A la suite de cette maxime figurait aussi l’expression « rien de trop », une invitation à la mesure, à l’acceptation de limites, à une modération de ses désirs, une série de notions ensuite véhiculées par les différentes écoles de la philosophie antique.

On sait aujourd’hui (même si … on a souvent du mal à l’admettre !) que la question philosophique « peut-on se connaître soi-même » n’appelle pas qu’une seule réponse….


Il apparaît qu’on confond souvent connaissance de soi et récit de soi. On ne connait de soi qu’une image qu’on bâtit :

- par la narration d’un récit reconstruit,

- par l’intensité d’un ressenti,

- par des élans pulsionnels pas toujours avouables,

- par la reconnaissance accordée par autrui à notre singularité….

Bref, un ensemble de manifestations d’un soi qui n’est pas un simple puzzle dont les pièces doivent être rassemblées, mais davantage une forme sans nom qui ne cesse de se mouvoir et de rechercher une stabilité...

Cette connaissance de soi nous présente comme un équilibriste qui fixe l’horizon pour ne pas se laisser perturber par les vents contraires et les attractions multi-directionnelles.

==> En résumé, le soi reste insaisissable, insaisissable dans sa globalité, son unité… et pourtant on doit « l’estimer », et pourtant on doit s’y « fier »…


Le mot « estime » renvoie à l’idée d’évaluation, de jugement qu’on porte à une valeur. L’estime de soi désigne la valeur qu’on accorde à ce qu’on vient de désigner comme un « magma » insaisissable qu’est le « soi ». On peut dire aussi que l’estime de soi désigne la satisfaction morale qu’on accorde à ce récit que l’on construit sur soi, qui dépend aussi du regard des autres et des relations qu’on tisse avec eux ; satisfaction qu’on accorde aussi à cette manière de sentir, à ce rapport au monde qui est le nôtre, si singulier, si particulier….


Il s’agit donc de s’estimer en restant conscient que cette estime doit se contenter d’une connaissance incomplète, qui en même temps concerne une vie limitée dans le temps, et qui aspire néanmoins à l’infini et à l’éternel, par l’espérance comme par ses recherches de vérité


Estime de soi : trop basse, trop haute… Peut-on envisager la justesse ?

Une fois que l’on a affirmé que l’estime de soi désigne la valeur qu’on accorde au récit qu’on parvient à faire sur soi, on peut constater néanmoins que le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes. Entre ceux qui ont une (trop ?) haute estime d’eux-mêmes et semblent peu capables de douter de leur toute-puissance (qu’elle s’exprime dans les idées, les décisions ou des relations), et ceux qui se sentent toujours impuissants face à l’adversité et la difficulté (traduisant ainsi une estime de soi plutôt basse), il semble bien difficile d’envisager une forme de justesse…

Même si l'on ne peut nier qu'elle est tributaire de chaque histoire singulière avec ses aléas, des épreuves, l’estime de soi désigne une valeur plus ou moins juste qu’on accorde au récit de soi qu’on a réussi à tisser.

Une estime de soi la plus juste possible se réfère à un récit qui ne cherche pas à masquer des expériences moins gratifiantes…. Et a contrario, qui ne confond pas ce récit à celui d’un moi idéal, inatteignable et qui procure des complexes. Une estime de soi la plus juste possible, finalement, désignerait l’acceptation d’une finitude, notre finitude, l’acceptation de limites, nos limites et les limites de ce que l'on connaît, les limites des autres et du monde, et aussi l’acceptation de l’absence de maîtrise de soi car c’est un non-sens d’enjoindre quelqu’un à s’auto-contrôler, s’auto-maîtriser alors qu’il n’a pas la connaissance complète de ce qu’il doit maîtriser. Comprendre ses limites et s’ouvrir aux limites des autres et de son environnement, voilà un conseil qui apparaît comme plus clair finalement et moins culpabilisant…


==> L’estime de soi juste s’apparente donc, si l’on suit ce raisonnement, à l’identification et à l’acceptation de notre absence de toute-puissance qui n’est malgré tout pas une impuissance, mais plutôt un potentiel rempli de promesses.



La confiance en soi, une relation au monde

La confiance en soi n’est pas une promesse, un potentiel, mais justement, elle permet d’activer des potentiels même insoupçonnés…L’idée de confiance introduit l’idée d’une relation. Confiance vient du latin confidere : cum, « avec » qui suggère la relation et fidere «foi ». Il y a l’idée de croyance…et d’un ensemble. Avoir confiance en soi nous rappelle donc que n’importe laquelle de nos actions s’inscrit dans un ensemble qui est le monde, chacune de nos actions entre en relation avec un environnement incertain, peuplé d’autres hommes, d’autres formes de vie, de multiples situations, et chacune de nos actions, donc, génère une interaction et des réponses. La confiance en soi est avant tout une capacité de prendre de la place, en ce monde, de lui donner forme et de le transformer et suppose donc une confiance a-priori en ce monde et en la vie, une confiance qui est prédéterminée, qui nous préexiste…. Par exemple, un salarié dont le responsable ou le collègue est soudainement absent et qu’il doit remplacer pour un moment, et devra par conséquent prendre de nouvelles responsabilités et s’emparer de nouvelles missions pourra s’étonner lui-même de réussir peu à peu à réussir des tâches qu’il pensait trop exigeantes auparavant. C’est comme un enfant qui tombe et se relève après une chute alors qu’il apprend à marcher… la confiance se révèle dans l’action, dans l’effort et les difficultés… Le résultat n’est pas toujours tout de suite présent, mais le sentiment d’avoir avancé, appris, compris incite à poursuivre… C’est là que se loge la confiance. Elle n’est donc pas un préalable à l’action. Et dans l’effort, la difficulté, on éprouve le monde… il nous répond.


Je vais d’ailleurs citer Bachelard : « en contemplant le nid, nous sommes à l'origine d'une confiance au monde, nous recevons une amorce de confiance, un appel à la confiance cosmique. L'oiseau construirait-il son nid s'il n'avait son instinct de confiance au monde? » Bachelard, La Poétique de l'espace


Ainsi, on pourrait dire que l’estime de soi se tourne vers le récit de soi et la prise en compte de sa puissance, alors que la confiance se tourne vers l’action et donc vers l’écriture d’un récit futur.

- L’estime de soi est un rapport à soi ; ce n’est pas que le rapport à soi qui provoque l’action, mais c’est plutôt la volonté de répondre à une forme d’appel de l’autre, des autres, du monde.

- La confiance naît donc de l’action, de l’expérimentation et non l’inverse comme on croit souvent. Elle se manifeste par la volonté de répondre, par un don de soi… Je vous invite d’ailleurs à lire ou relire le court essai La Confiance en soi d’Emerson, ancien pasteur américain du XIXè siècle et penseur considéré aussi comme philosophe, qui associe la confiance à l’anticonformisme, donc la capacité à penser par soi-même et ne pas se laisser formater, tout en accordant aussi une large part à son intuition, témoin de la singularité.

Ainsi on peut estimer que même avec une faible estime de soi, on peut agir malgré tout et répondre à l’appel d’autrui ou de tout être de notre environnement par l’action. L’estime de soi ne conditionne pas nécessairement la confiance en soi. De même, une estime de soi un peu trop haute et peu objective n’incite pas toujours à l’action celui qui veut garder une bonne image de lui et ne s’engage pas par peur de l’échec…


A la recherche de l'autorité légitime

Considérons donc que l’estime de soi (envisagée comme juste) repose sur l’acceptation de l’absence de toute-puissance et sur la reconnaissance de limites, les siennes et celles de son environnement. Cela faire référence à la vulnérabilité, l’humilité qu’on associe de plus en plus à une force de caractère, et même à une nouvelle forme de leadership : la légitimité repose là sur une forme de sagesse, la sagesse de celle ou de celui qui a construit un rapport au monde qu’il a su verbaliser, rendre intelligible dans un récit, récit suffisamment ouvert pour envisager d’autres récits. Peut-on y voir un lien avec l’autorité ?

L’autorité est agissante, elle incite les autres à agir sur le monde et donc à faire confiance justement….. Quelqu’un qui fait autorité dans son domaine, ou qui a une autorité sur d’autres (à ne pas confondre bien sûr avec l’autoritarisme), c’est quelqu’un qui incarne avec justesse le rôle qu’il joue avec nous ou avec son entourage, et qui sait faire jouer aux autres leur propre rôle, sans avoir à les brusquer, mais tel un metteur en scène ou un chef d’orchestre, en donnant à chacun sa place et en permettant à tout le monde d’être attentif aux différents rôles qui sont joués sur la scène d’une équipe, ou d’une famille, d’un groupe quelconque.


Cette autorité est un partage de la représentation d’un monde qui est celle de notre leader, monde qu’il a visualisé et qu’il met en scène. Cette représentation du monde, il l’a construite justement dans cette juste estime de soi évoquée plus haut, c’est-à-dire la conscience d’une absence de toute-puissance, la conscience d’une puissance relative qui crée des potentiels sur la mise en scène dont il est l’auteur. Autorité a pour racine auctor, qui veut dire auteur. L’auteur d’une représentation d’un monde, d’une vision qu’il porte et qu’il partage, et pour laquelle il accorde une place à d’autres. Cette représentation est claire et donc intelligible. Si on dit qu’elle se partage, c’est que les intentions ainsi partagées sont claires et invitent à l’action. Dans l’éducation, il y a un peu de cela aussi. On sait à quel point l’autorité parentale est parfois difficile à appréhender… mais certains parents adoptent la posture propice à partager quelques principes de vie et à transmettre un certain nombre d’idées, de valeurs, un regard sur le monde, restant conscient de la vulnérabilité de l’enfant à qui ils s’adressent autant que de la leur. Pas besoin de crier, de menacer, de faire du chantage, de promettre des récompenses, quand on dispose d’une telle autorité. Idem en management…


Estime de soi et confiance au service du leadership et réciproquement


Une relation de confiance (étymologiquement cum-fidere) avec autrui est une relation dans laquelle on partage ensemble une foi (« fidere »), une croyance en la relation, en la réciprocité, en la réponse possible de notre environnement. « Cum » veut dire avec et ensemble. L’autorité, la légitimité, le leadership inspirent confiance et en même temps incitent le groupe à l’action, et donc à répondre à la situation, à se mettre en relation avec le monde. Un leader qui fait preuve de reconnaissance saura aussi accompagner un récit qui permettra une valorisation de l’estime de soi de ses coéquipier…


En tout cas pour ceux qui se demandent comment gagner de la confiance, on ne peut que les inciter à agir, expérimenter, sans rapporter cela à un résultat à atteindre mais en l’envisageant comme un dialogue avec son environnement. Pour une estime de soi au plus juste, c’est un travail sur un récit de soi le plus objectif possible, qui croise les regards et qui fouille dans les expériences concrètes et le vécu. L’autorité se développera de manière concomitante, et permettra d’avoir plus de facilité pour convaincre et associer des partenaires dans vos projets de toute nature…


Et bien sûr, la consultation philosophique représente un réel accompagnement pour cette prise de conscience de ce qui fonde autant notre singularité que notre dialogue avec le monde… une invitation à tenter de dialoguer davantage et avec plus de justesse… En tout cas, c’est ce reconnaissent les praticiens de la consultation individuelle, dirigeants, managers ou toute personne curieuse d’approfondir sa compréhension de son rapport au monde.


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