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nellymargotton

La philosophie s'invite chez vous !

Alors que s’ouvre aujourd’hui la traditionnelle journée mondiale de la philosophie (célébrée depuis 2005 le 3ème jeudi du mois de novembre) , je vous invite à (re)découvrir de quelles manières cette discipline s'ouvre au grand public, engendrant ainsi une demande de ce même public de réflexion exigeante, mais accessible, et inaugurant un accès à la philosophie plus que jamais vivante … et vivifiante.





La philosophie semblait – il y a encore quelques années - réservée essentiellement aux chercheurs de l’université et aux essayistes, rédacteurs de textes souvent ardus, avec un vocabulaire assez « technique », s’adressant à des lecteurs passionnés, patients et ouverts à une lecture lente et attentive… En tout cas, ce sont bien les professeurs de philosophie et les chercheurs et essayistes qui ont ouvert la voie à l'invention de nouveaux modèles de pratique de leur discipline, puisque ce sont souvent les premiers initiateurs de ces rencontres qui ont changé la vie de ceux qui se sont engagés dans une discipline tellement enrichissante...


Dans la presse écrite comme dans les médias audiovisuels, dans les écoles comme les médiathèques, les lieux de culture et aussi les bistrots et les lieux conviviaux, dans les salles de conférence et aussi dans les bureaux de vos entreprises, dans des groupes et aussi en face à face individuel…. la philosophie s’immisce désormais partout… sans s’imposer, sans promesse de bonheur et de succès, sans prétention…. Elle tient de plus en plus de place dans les rayons de nos librairies avec des sujets assez nouveaux, contemporains, concrets, en lien avec notre quotidien : le travail, l’entreprise, la famille, les émotions, nos relations amicales et amoureuses, le sexe, le consentement, les ruptures, les phénomènes de radicalisation, l’écologie, les voyages, … ; la lecture reste exigeante, mais on constate un effort de lisibilité pour un nombre croissant de lecteurs. Et puis n’oublions pas, évidemment, la présence de praticiens sur les réseaux sociaux, sur les blogs, qui proposent une interrogation plus courte, en quelques signes, ou en quelques images, en vidéo, via des webinaires, etc…; cela ne fait que renforcer ce sentiment d’une présence bien réelle qui s’affranchit des codes traditionnels…


La question que j’ai envie de me poser avec vous, finalement, c’est : cette accessibilité dénature-t-elle la philosophie ?

Qu’est-ce qui rend la pratique philosophique légitime ? Comment différencier ceux qui nous invitent à réfléchir philosophiquement et ceux qui nous délivrent surtout ce que l’on appelle souvent du « prêt à penser », souvent rassurant et séduisant, parfois même enrobé de belles citations philosophiques, tout en fermant les portes de vos propres questionnements qui, pour être provoqués, nécessitent des moments moins confortables, plus déstabilisants, mais d'autant plus exigeants… ?



Légitimité d’une pratique, légitimité des praticiens


« Si les théories philosophiques te séduisent, assieds-toi et retourne-les en toi-même. Mais ne t’appelle jamais philosophe et ne souffre pas qu’un autre te donne ce nom ». Epictète


« Je pense qu’il n’y a personne qui ait rendu plus mauvais service au genre humain que ceux qui ont appris la philosophie comme un métier mercenaire. » Sénèque.



Ces deux citations proviennent d’un livre de Pierre Hadot, régulièrement étudié par de nombreux apprentis-philosophes, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Je les trouve pertinentes pour introduire cette réflexion sur ce qui fonde la légitimité d’une pratique qui se démocratise, comme sur ce qui fonde la légitimité des praticiens, qui sans nécessairement s’imposer dans le paysage médiatique, suppose la confiance d’un nouveau public en quête de sens, de réflexion, d’approfondissement, de compréhension de notre monde. Il y a des diplômes pour les enseignants en philosophie, mais il n’y a pas encore de reconnaissance officielle pour tous les autres praticiens… Comment s’y retrouver, comment faire confiance ?


Dans de nombreux autres domaines, l’imposture règne… Dans la religion comme dans la santé, dans le domaine des psychothérapies comme dans celui du coaching, elle se trouve toujours une place, les métiers ne sont pas tous réglementés et accueillent parfois des spécialistes autoproclamés qui savent si bien persuader leur « cible » que la confusion peut vite s’installer. La pratique philosophique n’échappe pas à cette règle, on connait des organisations qui se réclament de cette discipline et qui font l’objet de signalements en lien avec des dérives sectaires… particulièrement en cette période de célébration de la journée mondiale de la philosophie.


De plus, il n’y a pas qu’une manière d’étudier la philosophie… Cette discipline très riche suppose évidemment la lecture assidue et de la méthode, de la rigueur, une capacité à contextualiser une pensée, à la mettre en perspective, mais ne garantit ni l’HONNETETE intellectuelle, ni l’humilité d’un Socrate, conscient, devant l’immensité des savoirs disponibles et du caractère infini de la compréhension du monde, qu’il n’y avait bien qu’une chose qu’il savait, … c’était de ne rien savoir.


Interrogez les praticiens philosophes autour de vous sur ce qui fonde leur légitimité… Je le fais, et faisant partie de cette « communauté », je ne suis pas évidemment neutre… mais nous répondons souvent… que c’est difficile à dire, et que nous nous posons quotidiennement nous-mêmes cette question, la spécificité de cette discipline nous oblige aussi à nous interroger sur la légitimité de nos pratiques, sur la validité des idées présentées, sur le cheminement de réflexion que nous proposons (et imposons). Il parait que c’est bon signe… La capacité de ne pas surestimer sa démarche est fondamentale, c'est notre responsabilité. Nous n'exerçons aucun pouvoir sur les consciences, nous tentons de leur ouvrir des chemins pour explorer leurs propres pensées et celles d'autrui et celles de grands penseurs.

D’autres indices de légitimité me semblent importants : la prudence dont nous faisons preuve quand nous présentons une pensée philosophique, toujours contextualisée, toujours questionnée ; l’écoute réelle et attentive que nous mettons en œuvre face à nos interlocuteurs, sans les prendre de haut quand un raisonnement est faillible… ; leur apprendre l’effort de douter de leurs opinions en recherchant les fondements d’idées toujours considérées comme vivantes et donc évolutives…, en interrogeant aussi les présupposés. Nous lisons les philosophes que nous affectionnons… mais pas seulement. Et notre définition de la philosophie est ouverte…, comme celle des notions que nous abordons. Le paradoxe d’une « définition », c’est de n’être jamais « définitive » pour un philosophe… ce qui peut expliquer à quel point ils sont agacés lorsque certains prétendent savoir rendre les gens heureux quand la définition du bonheur pose problème, ou que l’on promet à l’entreprise des solutions managériales sans avoir défini le travail, sans interroger les liens qui tissent les membres d’un collectif, sans s'intéresser aux significations des valeurs proclamées et des démarches éthiques affichées… La Philosophie a horreur des modes… des idées toutes faites.


Sur le site de la journée mondiale de la philosophie, l’Unesco nous dit que : « en dehors d’être une discipline, la philosophie est aussi une pratique quotidienne qui peut transformer les sociétés et stimuler le dialogue des cultures. En éveillant à l’exercice de la pensée, à la confrontation raisonnée des opinions, la philosophie aide à bâtir une société plus tolérante et plus respectueuse. Elle permet ainsi de comprendre et d’apporter une réponse aux grands défis contemporains, en créant les conditions intellectuelles du changement. »


Un vrai praticien qui respecte sa discipline autant que le public auquel il s’adresse se pose inévitablement la question de sa légitimité, et continue d’apprendre et de lire, inlassablement, de se poser des questions et de se nourrir des questions et des réponses des autres… Il y a aussi des groupes, des associations, telles que Faire Philo, qui organisent des séances de co-vision entre praticiens, qui permettent notamment de confronter les pratiques, de les interroger, de les transformer. La confrontation avec les pairs est déjà un exercice philosophique… qui redéfinit les contours d’une discipline qui trouve aussi difficilement sa définition. Et la reconnaissance des pairs est indispensable aussi pour prendre confiance et poursuivre sa progression dans ses pratiques…



Où peut-on s’exercer à la pratique philosophique ?


De nouveaux lieux vous permettent de venir à notre rencontre… et d’enrichir vos questionnements, vos capacités d’approfondissement et aussi votre vocabulaire, de mobiliser votre esprit critique en définissant bien, justement, ce qu’est l’esprit critique (souvent confondu avec la défiance à l'époque de la post-vérité…) :


- A l’école maternelle, élémentaire et au collège, en médiathèque : il existe plusieurs méthodologies transmises aux acteurs de l’éducation, professeurs et intervenants, qui ont pour objectif principal de faciliter l’expression des enfants et des adolescents sur des thèmes qui les touchent, de leur apprendre à dialoguer, à écouter, à argumenter, à interroger les images, les idées préconçues, les jeux, les relations qu’ils entretiennent entre eux… Et de plus en plus, on associe ce type d’échanges à la pratique artistique, de quoi encourager aussi à la fois la créativité, la prise en considération de la sensibilité dans la réflexion et l’ouverture à la culture. C’est fou comme les plus jeunes enfants aiment cet exercice... le doigt levé avant que la question de l’animateur soit formulée… Cet exercice leur donne un terrain d’expression privilégiée et leur permet justement d’apprendre à exprimer plus précisément ce qu’ils ont envie de partager, tout en le confrontant à l’expression des autres…(et j'avoue qu'avec les plus jeunes, les câlins en guise de remerciement sont très gratifiants et encourageants !)


- En entreprise : si les philosophes sont conviés depuis assez longtemps dans les séminaires d’entreprise, ils font aussi leur entrée dans les réunions d'équipes et participent désormais aux réflexions autour des pratiques managériales avec les managers, ils animent des séances de discussion entre salariés sur les sujets de l’avenir de leur entreprise, sur la vision, la culture interne, les valeurs, les responsabilités diverses. Ils participent à la rédaction des projets d’entreprise et ils accompagnent toutes les questions de sens au travail. En atelier ou en consultation individuelle, les sujets sont nombreux, il s'agira surtout d'éclairer les actions et de mieux comprendre ce qui fait du lien dans l'entreprise, en interne et en externe. L'entreprise vit aux quotidiens les influences de son environnement interne (nouvelles formes de contrats de travail, formations, partenariats) et externe (nouvelles technologies, législation, préoccupations climatiques, vieillissement de la population, précarité, mondialisation, contexte géopolitique ou sanitaire, changements sociétaux). Il s'agit pour l'entreprise de ne pas subir ces influences, mais de les comprendre pour mieux appréhender ce qui se noue dans les relations de travail des différents membres de ses équipes, et dans la capacité à imaginer le futur de ces interactions dans un environnement en mutation... Il s'agit de faire du lien entre le réel et le possible. Tout un programme ! Ce qui est certain, c’est que ce type d’exercice renforce la cohésion d’équipe, le dialogue social et permet de révéler certains malentendus, certains mal-être, certains dysfonctionnements invisibles… qui pourront ensuite être traités. La philosophie encourage à la fois la lucidité et le courage d’affronter ce qui semble anodin… mais qui pourrait insidieusement déséquilibrer les projets ! Quelle puissance n'est-ce pas… (au sens de Spinoza… !)


- Dans le champ du travail social, les philosophes animent des séances de supervision ou alors des groupes d’analyses de pratiques. Les travailleurs sociaux sont en effet régulièrement confrontés à des situations douloureuses, conflictuelles, violentes, etc, qui bousculent certains repères qu’on peut avoir et heurtent parfois les principes de vie commune auxquels on est habitué. Ces acteurs sociaux ont pour rôle de pacifier les relations, d’accompagner certaines dérives, de mobiliser différents acteurs autour de projets d’amélioration de la vie commune dans les domaines de l’habitat, de l’emploi, de la solidarité par exemple. La philosophie leur est utile pour prendre du recul, interroger les incertitudes et les blocages qui subsistent pour mieux comprendre les interactions dans leur environnement, comprendre les évolutions des représentations de l’individu, du collectif, et trouver de nouvelles idées pour agir "en situation"... Le champ social ne peut jamais se contenter de prescriptions, il entre dans des problématiques qui mettent en valeur des formes de vulnérabilité difficiles à envisager tant qu’on n’y est pas confronté : maladie, handicap, pauvreté, absence d'éducation, radicalisation sous différentes formes, violence, ...


- La philosophie est entrée aussi dans le milieu hospitalier, pour encourager les expérimentations de nouveaux types de relations entre médecins et patients, elle suscite des réflexions autour des normes, du handicap, de la souffrance, et elle participe aux chantiers de réaménagement des espaces de vie en milieu médical !

En outre, elle trouve sa place en prison auprès des détenus ou du personnel de prison ; elle s’adresse aussi aux jeunes délinquants ; elle est sollicitée pour accompagner aussi des jeunes enfants placés et en souffrance, pour accompagner l’expression d’un rapport au monde et envisager, par la discussion, de tisser de nouveaux liens autrement, avec leur environnement.


Ces exemples sont des illustrations de la place que peut prendre la philosophie concrètement dans notre cité, et ne recouvrent pas de manière exhaustive tous les champs d’investigation de cette discipline ancrée dans le quotidien, et le réel. De plus en plus de particuliers, en soif de culture et de sens, complètent aussi leur éducation d’adulte à l’aide de la philosophie et participe à des ateliers de pratique philosophique lors desquels on réapprend le dialogue contradictoire sur des sujets de préoccupation, guidés par des animateurs formés en philosophie ! Et enfin, citons ce qu'on nomme la consultation individuelle, qui s'adresse aux curieux qui préfèrent se retrouver en face à face avec un praticien pour réfléchir à des questions plus personnelles, mais toujours avec cette rigueur, cette méthode et cet effort vertigineux concentré sur le questionnement de vos pensées, de leurs présupposés, de vos croyances…



Alors, êtes-vous tenté par l’exercice ? Souhaitez-vous organiser des sessions dans votre organisation ? Parlons-en. Le praticien peut aussi être bon vivant, et un bon café, un bon verre ou un repas partagé sont aussi l’opportunité d’une discussion conviviale pour faire connaissance et envisager l’opportunité de tester cette pratique… 😉





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